En 11 mois plus de 560 entreprises guadeloupéennes faisaient l’objet de ce que l’on appelle une procédure collective.Des chiffres qui ne cessent d’augmenter années après années. À première vue cela peut paraître énorme mais au regard du nombre d’entreprises répertoriées à la Chambre de commerce et de l’industrie de la Région des Iles de Guadeloupe, cela ne représente finalement qu’une broutille. En effet la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre comptabilise 30 000 entreprises répertoriées. Cependant, comme parmi elles, certaines sont en sommeil (1), cette montée en puissance du nombre des dépôts de bilan inquiète..
Au 2 décembre 2011, le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre enregistre 23 entreprises nouvelles liquidées. Parallèlement, le tribunal enregistre 114 sociétés en redressement judiciaire contre 66 en 2010. En ce qui concerne les procédures de sauvegarde qui protègent les entreprises en difficulté en suspendant le paiement de dettes à l’ouverture de l’instance et leur permettre d’étaler le paiement de leurs dettes sur des années, 14 sociétés ont bénéficié de cette action contre 2 l’an dernier. Selon Michael Sarda, avocat d’affaire, le nombre de redressements judiciaires fait état d’une plus grande prise de conscience des chefs d’entreprises qui aujourd’hui se tournent vers le tribunal beaucoup plus tôt : « Le redressement judiciaire est une procédure qui permet pendant un temps donné de mettre les dettes en suspend et de pouvoir rétablir la société avec un flot suffisant sur une période déterminée par les instances. » (Maximum 18 mois)
Malheureusement, situation faisant, toutes les entreprises ne peuvent pas accéder à cette procédure car elles ne sont plus viables économiquement. Elles sont alors, sacrifiées sur l’hôtel des liquidations.
Pourquoi les entreprises sont elles liquidées ?
Mauvaise gestion ? Manque de formation ? Marché étriqué ? Autant de paramètre qui expliquerait ces dépôts de bilan. « Dans les petites structures, au bout de la première société on n’est pas tout à fait prêt. On gère à sa façon mais, on est bien meilleur à la seconde voir la troisième société. Ça peut être aussi une mauvaise formation, un manque de maturité évident…En résumé on ouvre une société sans vraiment être préparé. » s’explique Michael Sarda. À cela s’ajoute le non-paiement des charges sociales et fiscales qui constitue la plus grosse part des dettes de nos sociétés.
En effet selon la Caisse Générale de Sécurité Sociale la créance des chefs d’entreprise avoisinerait les 1 millions 800 euros en parallèle la dette des collectivités locales avoisinerait 400 000 euros. Une somme colossale quand on sait que des mesures importantes d’aide ont été mis en place afin d’aider les entreprises (exonérations fiscales et sociales, défiscalisation). Malgré toutes ses aides nos entreprises ne sont pas parvenues à redresser la barre. Il faudrait qu’un jour l’État face rentrer ses sous. Nos organismes sociaux seraient-ils en train de se substituer aux banquiers ? Si d’aventure, ces derniers décident de faire entrer leurs créances, ne s’achemine-t-on pas vers la mort des entreprises locales.
Autre paramètre à prendre en compte l’étroitesse du marché alors que paradoxalement on assiste à une montée en puissance des créations d’entreprises. « En Guadeloupe beaucoup de gens ouvrent des sociétés mais, le gâteau n’est pas si gros que cela et c’est très compliqué. Les entreprises ne sont pas si aidées que ça. C’est un vrai problème. Dans un petit marché quand vous avez des difficultés, les conséquences se font ressentir très vite et les opportunités ne sont pas légion pour permettre de rencontrer le succès escompté » développe Maître Sarda.
Des conséquences dramatiques liées notamment à la crise de 2009. « Depuis la crise générale de 2009 et la morosité actuelle du marché, les choses vont moins bien et cela est évident. La Guadeloupe ne dispose pas d’un marché extensible, on exporte presque pas, très peu et ce vase clôt fait qu’aujourd’hui on a autant de liquidation ». Pour le porte-parole du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), Elie Domota, les 44 jours de grève de 2009 n’ont eu aucune incidence sur les liquidations que connaissent les entreprises de l’île.
La crise que subit les sociétés n’est en fait que la résultante de l’échec du capitalisme mondial. « La Guadeloupe n’est pas sur une autre planète, pour ne pas remettre en cause le système financier capitaliste il y a des gens qui disent que c’est le LKP. LKP ou pas les entreprises, les marchés sont en difficulté. Pour arrêter les licenciements les fermetures d’entreprises, les mouvements sociaux ont pour effet de contraindre le gouvernement à s’attaquer à la crise au travers des financiers. » Selon une étude réalisée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le mouvement social au 1er trimestre 2009 a fortement perturbé l’économie de l’île. Sous les effets de la crise, le nombre de créations d’entreprises au premier trimestre (770) a été inférieur de 44 % à celui du deuxième trimestre (1 374). Le nombre de créations hors entreprises suit la même tendance avec une baisse de 24 % la même année.
De moins en moins de créations d’entreprises, des liquidations en cascade qui conduisent à des dérives. Au bord du gouffre les chefs d’entreprises n’hésitent pas alors à fermer leur société pour en rouvrir une autre au même endroit et à l’identique. Pour Maître Sarda de plus en plus d’entreprises on recourt à cette stratégie. « Ce qui est illégale c’est de détourner les actifs d’une entreprise en difficulté, c’est-à-dire ce qui rapporte ou tout bien ayant une valeur économique, et ce, au profit d’une autre société qui l’exploitera et en tira les avantages alors que l’entreprise en difficulté conservera le passif c’est à dire essentiellement les dettes et devra avoir recours à une procédure de liquidation judiciaire. » Est-ce un nouveau mode de gestion des entreprises ? Selon l’avocat Michael Sarda : « Il est vrai que les entreprises n’hésitent pas à avoir recours à cette démarche ce qui leur permet de repartir « comme neuf » puisqu’elles disposent de la même structure sans aucune dette » (…) « d’autres estimes ne pas avoir le choix que d’avoir recours à cette démarche, seule voie possible selon eux de « repartir » ».
Les entreprises liquidées : vecteur de chômage ?
L’actualité récente, nous a rappelé que les liquidations ne sont pas sans conséquences sur le plan social. Les fermetures des supermarchés Unik Market et Super U en attestent et avec eux une centaine de salariés ont perdu leur emploi. Pour Patrick Dumirier, ex patron de Pôle Emploi dans une interview accordée à Caraib Créole News, le 14 février 2011 confirme « la dégradation du marché de l’emploi soit 60 000 demandeurs d’emplois inscrits en Guadeloupe ». Phénomène lié selon lui à une panne de croissance en Outre-Mer. Cependant, face à ce fléau mondial, l’État avait pensé trouver un palliatif : le statut d’auto-entrepreneur. Il est vrai que lors de son lancement en 2009 on assistait à une floraison du statut dont l’ambition est de favoriser l’entreprenariat et de réduire le chômage.
Ainsi ce ne sont pas moins de 1 730 auto-entrepreneurs qui ont créé leur entreprise, soit 35 % des créations, contre 48 % en Martinique et 55 % en France métropolitaine.
L’année suivante, en 2010, après la mise en place du régime de l’auto-entrepreneur, le nombre de créations d’entreprise avait progressé de 5 330 créations, soit 9 % de plus que l’année précédente. Avec l’arrivée de ce niveau dispositif, des emplois nouveaux n’ont pas été créés mais plutôt des demandeurs d’emploi ont créé leur propre emploi : « Ils représentent 62 % des créateurs.
Avec 13 entreprises créées pour 1000 habitants en 2008, nous avons le record national de la création d’entreprise. Un véritable dynamisme qui explique peut être le fait que les entreprises guadeloupéennes sont plus aptes à franchir le cap de la 3ème année d’existence que celles de l’Hexagone. » justifie Patrick Dumirier. Pourtant, aujourd’hui, être auto-entrepreneur ne relève plus de la panacée. Son chiffre est en forte régression selon la Chambre de commerce et de l’industrie de la Région des Iles de Guadeloupe. Une tendance à la baisse notable par l’INSEE depuis 2009 et 2010. Le statut d’auto-entrepreneur suscite moins d’engouement en Guadeloupe qu’en France métropolitaine (39 % d’auto-entreprises créées contre 58 %). De plus au classement des plus fortes augmentations du nombre de créations d’auto-entreprise, la Guadeloupe arrive en 5e place, après les autres régions d’Outre-Mer et l’Ile-de-France, 28 %.
Une création d’auto-entreprises en dents de scie qui fait débat encore aujourd’hui en politique.
Le 28 novembre dernier sur BFM TV François Hollande a proposé de limiter fortement le statut de l’auto-entrepreneur car celui-ci représenterait une concurrence déloyale. Une proposition qui vient appuyer l’amendement du député du Nouveau Centre Charles de Courson voté le 29 novembre dernier par la commission des Finances de l’Assemblée nationale, où les auto-entrepreneurs devront fournir une attestation comptable. À Droite, les réactions ne se sont pas fait attendre, elle envisage de procéder à un contrôle annuel des comptes des auto-entrepreneurs. Peut être l’un des grands enjeux de la campagne présidentielle avenir. D’ores et déjà le Président de la République, Nicolas Sarkozy a mobilisé 800 millions d’euros supplémentaires pour les petites et moyennes entreprises autrement dit les PME. En résumé 200 millions d’euros de plus pour le capital-risque, 250 millions pour l’innovation et 350 millions pour les régions.
Existe-il des solutions ?
Parmi ces solutions pour éviter le désastre. La chambre de commerce et de l’industrie de la Région des Iles de Guadeloupe propose plusieurs formations à destination des chefs d’entreprises actuels et avenir. Des formations, créateurs d’entreprise, des classes préparatoires Hautes Ecoles Commerciales (HEC) ainsi que des stages en centre de formation d’apprentis (CFA).
Autant de possibilités pour une meilleure gestion des entreprises. Depuis le 1er janvier 2011, les entrepreneurs individuels, déjà en exercice ou lors de la création de leur activité, peuvent choisir un nouveau statut : l’EIRL, entreprise individuel à responsabilité limitée. Un nouveau souffle pour les entreprises qui sont méconnues du grand public. Pour Maître Sarda, d’ici quelques années l’EIRL a de l’avenir : « L’EIRL permet d’affecter sa maison, l’ensemble de ses biens dans un second patrimoine. Ainsi en cas de difficulté le patrimoine sera protégé. C’est à peu prêt l’éventail d’une société avec une formule toute simple. En résumé on a voulu simplifier à l’extrême ce qui existe déjà dans le cas d’une société. C’est une avancée sérieuse. »
Quel avenir pour nos entreprises ?
L’actualité de tous les jours n’incite pas à un optimisme béat (2). « Je pense que notre économie, ce n’est pas un secret pour personne, dépend beaucoup de la Métropole. De ce fait, compte tenu des difficultés des entreprises nationales il est difficile d’envisager une accalmie possible. » Dans ce marasme économique un signe d’espoir tout de même, le dynamisme de notre jeunesse doublé d’une envie débordante d’entreprendre. Même-ci créer sa société aujourd’hui relève d’un parcours de combattant. Il est clair et évident qu’entreprendre en Guadeloupe est très difficile et risqué.
(1) La mise en sommeil correspond à une période de cessation temporaire de l’activité.
(2) c’est à dire inactif, est une sottise
ENCADRE / Source INSEE / Créations d’entreprises en 2010 : comparaisons régionales
-Guadeloupe 5 511 soit 14,5%
-Guyane 1 936 soit 19,6 %
-Martinique 4 886 soit 14,6%
-La Réunion 8 133 soit 19,7%
-France 622 037 soit 18,1 %
ENCADRE / Source INSEE / En 2010, hausse des créations d’auto-entreprises mais aussi de sociétés
En 2010, c’est dans les départements d’outre-mer (DOM) et en Île-de-France que le nombre de demandes de création d’auto-entreprise a le plus augmenté, alors que c’était l’inverse en 2009, notamment parce que le régime de l’auto-entrepreneur y avait suscité moins d’intérêt. Dans les DOM, ce rattrapage s’explique par l’adaptation, fin 2009, du régime micro-social (régime spécifique à l’auto-entrepreneur) aux spécificités des DOM pour les cotisations sociales. La Réunion, la Guyane, l’Île-de-France et la Guadeloupe sont les quatre régions où les créations d’entreprises augmentent le plus en 2010. Mais la Réunion et la Guadeloupe font aussi partie des régions où le nombre de créations hors auto-entreprises progresse le plus (+ 7,5 % et + 6,1 %, respectivement). En 2010, un an après la mise en place du régime de l’auto-entrepreneur, le tissu économique martiniquais s’est enrichi de 4 790 nouvelles entreprises, soit 7 % de plus que l’année précédente.